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Louis ARAGON

PERSÉCUTÉ PERSÉCUTEUR



PRÉLUDE AU TEMPS DES CERISES



I


Le long des Rivieras hortensiées

rôde le spectre aux mains très blanches

aux ongles soigneusement manucurés


Décor décor toi qui enchantes

Rien ni fumée azur ni boue

ne trouble le conte de fées

Tout sur mesure jusqu’au ciel et l’essence

rare des arbres fait rêver les villas arabes

l’univers a l’air d’un briquet

Dunhill

Incrustations

Voici le paradis sur terre

Nulle ombre aux pieds du mannequin qui tourne

Le soleil est bien élevé


Mesdames Messieurs l’idéal

Entrée interdite aux ouvriers

Sage précaution qui s’élève des siècles passés

avec la douce gravité protectrice et réfléchie

de ceux qui tiennent du firmament

la roulette

L’idéal Messieurs et Mesdames

L’idéal Monaco de toute philosophie


Abstraites régions de lumière ultraviolette

Le goût se pavane avec son triple menton de porc

sur le gravier égal des promenades

Un peigne d’or à ces cheveux du sud enlève

jusqu’au souvenir lointain des violences

L’idéal Armide

L’idéal Armoire

L’idéal Armure L’idéal

Murmure L’idéal tout armé

sort de la tête du dieu sans mémoire


Mesdames et Messieurs La valse

a trois temps

l’argent l’oubli l’art

le triple menton

l’art l’argent l’oubli

l’oubli l’art et l’art

Mesdames Messieurs

l’art le sport les cieux

Musique


Ceux qui voudraient détruire

qui rêveraient dans leurs insanes et sacrilèges rêveries

détruire détruire ceci disperser

l’ordonnance de ces lumineux rivages

ceux qui voudraient chasser de ces bords sans blasphème

les grosses dames et les pensifs adolescents

mais qu’on les supprime

ces pouilleux ces matérialistes

insensibles à ce qui est éther éternel et beauté


II


Il n’y a pas d’idéal abstrait

L’hortensia Madame est un chou teint

Vous êtes laides

Vous êtes tous très laids Les péristyles

de vos ridicules palais ne valent pas

qu’on meure de faim pour en contempler les colonnes

Vos tableaux vivants soulèvent le cœur

par leur bêtise atroce et la bassesse incroyable de vos désirs

Ta gueule ô Lakmé

Vous êtes la honte des miroirs

et le taffetas de vos dominos volés cache mal

la pourriture de vos corps qui croyez-moi ne ressusciteront

     pas d’entre les morts

Futur engrais d’une moisson qu’aucun de vous n’imagine

Oh je sens déjà le charnier des rues où se décompose

votre défroque bien soignée un soir d’octobre

il me plaît que ce soit encore un octobre

marqué du sceau de la mort violente

qui ne respecte rien pas plus que le loup la louve

ni les louveteaux

Les petits enfants des riches

font très joli dans le tableau

Il faut bien qu’au pied des vainqueurs

on jette des roses coupées

Parfois je me complais à la convention poétique


Il y a dans le soleil du devenir

plus de beauté pour les jours de poudre et de tempête

quand le Prolétariat armé

et organisé

balaye d’un grand geste sanglant vos folies dramatiques

Bourgeois

que dans le décor de théâtre où s’inscrit la pensée

de vos bergsons dans la perspective des casinos

Il y a plus de beauté dans le spectacles de vos demeures

     détruites

que dans le spectacle de vos gymkhanas en août

Il y a plus de beauté dans le spectacle de vos demeures

     détruites

que dans celui de vos demeures debout

Vos batailles de fleurs préludent à une revanche du printemps

qui n’est pas celle que vous croyez

Présidentes d’Œuvres sociales Ordures parfumées

Ce printemps

il me plaît je le répète que ce soit

un octobre et la rafale rouge

des feuilles fera qu’à peine on remarque le sang

Il y a plus de beauté dans votre agonie au carrefour

que dans votre vie au vent des plages Il y a plus

de beauté dans la hotte qui se pose en passant

sur le délié de vos narines

que dans vos narines habituées au bonheur Il y a plus

de beauté dans la matière que dans

l’idéal défendu par des tanks qui gardent

l’hortensia Monte-Carlo où Lakmé

Ô clochettes

dépense sans compter les fleurs céruléennes de l’idéal


III


Il s’agit de préparer le procès du monstre

D’un monde monstrueux

Aiguisez demain sur la pierre

Préparez les conseils d’ouvriers et soldats

Constituez le tribunal révolutionnaire

J’appelle la Terreur du fond de mes poumons


Pas un cri pas un mot de ces animaux supérieurs

qui ne fument que le Nil

et ne boivent que l’or

ne doit être oublié de ceux qui guettent la défaillance

du pachyderme roi du monde

Notez bien tout

La lettre de Monseigneur Verdier pour les funérailles

Des soudards Le Brix et Mesmin par exemple

a son importance

Une grimace de pitre un essai de Paul Valéry

une fête de charité de l’Intransigeant

un geste de passante

n’oubliez rien camarade  n’oubliez rien


Si quand les feuilles d’Octobre seront tombées

sur l’Occident vous alliez oublier vraiment

l’histoire

et l’épouvantable mascarade d’aujourd’hui

Si vous alliez

oublier camarades


Alors que la vermine dans ses oripeaux se relève

Vous verrez que jusqu’aux enfants épargnés

jusqu’aux innocentes putains

l’idéal aura pris la forme d’un poignard

N’oubliez rien n’oubliez rien

Dès maintenant ce qu’il vous faut à vous

l’ombre

à vous les témoins du repas

les serviteurs d’ombre du repas

c’est un livre où marquer vos comptes


Je chante le Guépéou qui se forme

en France à l’heure qu’il est

Je chante le Guépéou nécessaire de France

Je chante les Guépéous de nulle part et de partout

Je demande un Guépéou pour préparer la fin d’un monde

Demandez un Guépéou pour préparer la fin d’un monde

pour défendre ceux qui sont trahis

pour défendre ceux qui sont toujours trahis

Demandez un Guépéou vous qu’on plie et vous qu’on tue

Demandez un Guépéou

Il vous faut un Guépéou

Vive le Guépéou figure dialectique de l’héroïsme

qu’on veut opposer à cette image imbécile des aviateurs

tenus par les imbéciles pour des héros quand ils se foutent

la gueule par terre

Vive le Guépéou véritable image de la grandeur matérialiste

Vive le Guépéou contre dieu chiappe et la Marseillaise

Vive le Guépéou contre le pape et les poux


Vive le Guépéou contre la résignation des banques

Vive le Guépéou contre les manœuvres de l’Est

Vive le Guépéou contre la famille

Vive le Guépéou contre les lois scélérates

Vive le Guépéou contre le socialisme des assassins du type

Caballero Boncour Mac Donald Zœrgibel

Vive le Guépéou contre tous les ennemis du Prolétariat


VIVE LE GUÉPÉOU

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