Maria Deraismes
femme politique 1828 -1894
Maria Deraismes est née le 15 août 1828, dans une famille de bourgeois libéraux. Son père, commissionnaire en marchandises avait fait de sérieuses études ; il en avait conservé l'amour des belles lettres, et de l'œuvre de Voltaire en particulier.
Maria Deraismes, élevée dans une famille qui avait une horreur des Bourbons et des Jésuites, fut instruite par sa sœur aînée, de sept ans plus âgée qu'elle, et qui, après lui avoir appris à lire, continua son éducation jusqu à 18 ans.
La jeune Maria Deraismes se mit alors à étudier toute seule la Bible, les Pères de l'Eglise, les livres traduits des religions indoues et orientales. Ces études firent disparaître les quelques principes du christianisme qu'avait pu inculquer à l'enfant une mère peu croyante, mais il lui resta une vague croyance en Dieu, ou plutôt un ardent désir de la justice que, disait-elle la veille de sa mort, elle avait cherché dans ce monde et qu'elle n'avait pas trouvé.
Les études les plus abstraites ne rebutèrent pas Maria Deraismes : elle étudia avec ardeur Leibnitz, les philosophes anglais et allemands du dix-huitième siècle. Elle apprit le grec et le latin pour lire les anciens philosophes dans les textes mêmes.
Ces études arides n'avaient pas étouffé chez Maria Deraismes les sentiments esthétiques : elle voulut apprendre la peinture et travailla avec l'acharnement qu'elle apportait à tout ce qui intéressait et captivait son esprit. Elle trouvait encore le temps de consacrer quelques heures chaque jour à l'étude du piano.
Comment Maria eût-elle l'idée d'écrire ? Pour agrémenter des soirées organisées par sa mère, Maria Deraismes composa de petites pièces de théâtre et l'une de ces pièces : « A bon chat, bon rat fut jouée à Bade, pendant la saison des eaux ».
Le hasard lui donna l'occasion de mettre en valeur ses dons naturels d'oratrice. Déjà, vers douze ans, racontait sa soeur, elle s'amusait à monter dans un kiosque à la campagne et à y improviser des discours que devait entendre sa préceptrice.
Les rédacteurs de l'Opinion Nationale, organisèrent les Conférences du Grand Orient , rapidement, elles furent célèbres et en 1866 ils demandèrent à Maria Deraismes de prendre la parole.
Résolue de donner un refus ; avant de prendre la plume pour s'excuser ses yeux tombèrent, par hasard, sur l'article d'un journal qu'on venait de lui apporter. Cet article était dirigé contre les femmes auteurs. L'impertinence, la grossièreté y étaient déversées; celui qui l'avait écrit contestait même le talent à des femmes qui ont contribué pour une large part, à la gloire littéraire de la France.
« Je fus irritée, indignée, et après cette lecture j'avais changé de résolution. Devant de telles attaques, la seule attitude digne était de ne point se laisser intimider et de suivre son chemin. »
« Si les uns et les autres nous ménagions ainsi nos susceptibilités, notre amour propre, notre argent, notre personne enfin, nous ne tenterions jamais rien, nous ne commencerions jamais rien, nous nous condamnerions à l'immobilité ».
Cette première épreuve publique donna des résultats inespérés. A peine avait-elle parlé cinq minutes que la sympathie de son auditoire lui était acquise ; il devint expansif, chaleureux, enthousiaste.
Un auditeur de cette première conférence, M. Siebecker donna ainsi ses impressions, vingt ans après : « J'avoue que j'arrivai à la conférence féminine de Maria Deraismes avec des dispositions gaies. Je m'attendais à trouver une vieille fille précieuse, minaudière et nulle.
Mon étonnement fut grand en voyant arriver une jeune fille de vingt-quatre ans, au visage un peu pâle, d'une grande distinction de formes et d'allures, d'une élégance simple, sans timidité ridicule et sans aplomb insolent. Dès le début, elle conquit son auditoire. La voix était bien timbrée, l'élocution facile, la langue d'une grande pureté, les traits d'esprit fins sans être méchants, bien lancés. Avec cela un haut bon sens et une grande érudition. Le succès fut complet. J'étais séduit comme tous et, grâce à la grande vogue du journal La Liberté, le lendemain, le nom de Mlle Maria Deraisme était connu. »
Ce premier succès n'éblouit pas Maria Deraismes, mais il la fortifie dans l'espoir de pouvoir répandre librement ses idées. Citons seulement ces quelques lignes qui indiquent mieux que de longues phrases dans quel esprit Maria Deraismes comptait accomplir sa tâche :
« Je continuerai donc mon oeuvre à peine ébauchée, je la poursuivrai avec persévérance et opiniâtreté, écartant toute idée d'intérêts pécuniaires de mes travaux, les considérant comme une mission, un apostolat. »
De 1866 à 1870, Maria Deraismes développa dans ses conférences des sujets très divers : elle aborda tour à tour la morale, l'histoire, la littérature.
De cette époque date la série de conférences sur «Nos principes et nos mœurs » et un peu plus tard : l'Ancien devant le Nouveau ! ». Dans ces dernières causeries surtout, Maria Deraismes se révéla comme, un véritable philosophe. Elle étudia les doctrines nouvelles avec impartialité et en s'appuyant sur ses connaissances acquises au cours de ses longues lectures. Elle rejeta peu à peu « le positivisme », terme général qu'elle applique, à toutes les philosophies basées sur la connaissance expérimentale de l'univers : réalisme, matérialisme naturalisme, positivisme de Littré ; puis la morale indépendante que Massol représentait à cette époque et qui devait servir de trait d'union entre les hommes de religions différentes.
Eprise surtout d'un idéal de justice qu'elle ne rencontrait dans aucun dogme, dans aucune doctrine Maria Deraismes rejeta avec horreur la pensée d'une humanité malheureuse, condamnée à la mort totale, à la destruction définitive sans espoir d'une récompense d'un au-delà. Elle dégageait l'idée de Dieu de toutes les religions dans lesquelles on avait toujours voulu l'enfermer. Elle considérait, présidant aux destinées humaines, l'Etre Suprême le grand architecte et surtout le principe de Justice absolue et divine.
Cette idée de justice absolue, Maria. Deraismes ne l'abandonna jamais : la veille de sa mort, elle disait à un de ses médecins : « La Justice ! Ah ! Tenez, cher docteur, en elle je crois de toute mon âme, mais je l'ai cherchée dans-ce monde et ne 1'ai pas trouvée ; elle sera peut être ailleurs, et si elle n'était pas là pourtant,.. »
Quelque temps avant la guerre de 1870 Maria Deraismes étudia à fond les questions relatives au droit des femmes et se révéla à cette époque l'ardente féministe qu'elle restera jusqu'à sa mort.
La guerre de 1870 arrêta la vaillante propagandiste qui, avec sa soeur organisa une ambulance dans un de leurs immeubles de la rue Saint-Denis ; elles en supportèrent les frais pendant la durée de la guerre. La mauvaise santé de Maria Deraismes l'obligea alors à quitter Paris et à s'installer en Bretagne. La maladie la condamna quatre années au silence.
De retour à Paris, Maria et Féresse-Deraismes firent remise à leurs locataires d'une année de loyer.
Après la tourmente, Maria Deraismes eut la conviction qu'une grande oeuvre de paix restait à élaborer.
Elle se remit courageusement au travail pour défendre la jeune République et les idées démocratiques qui lui étaient chères.
« Après cet effroyable désastre, tous les cerveaux ne furent plus absorbés que par une seule et unique pensée : relever la Patrie par la libération du territoire ; l'extension de l'instruction, l'organisation de l'armée et la consolidation de la République. C'est à cette dernière oeuvre que je travaillais...
« J'entrepris donc une campagne de propagande en faveur des principes de la démocratie, persuadée du reste, que de leur complète application dépend la disparition de toute injustice légiférée»
Tout en défendant les idées démocratiques, Maria Deraismes n'oubliait pas sa campagne pour l'amélioration du sort des femmes.
Dès le mois d'avril 1870, Maria Deraismes réfuta la définition de la femme donnée par Alexandre Dumas fils : " La femme est un être circonscrit, passif. instrumentaire disponible, en expectative perpétuelle. C'est le seul être inachevé que Dieu ait permis à l'homme de reprendre et de finir. C'est un ange de rebut ! "
En 1872 révoltée par les fantaisies et les facéties de l'Homme-Femme du même auteur, elle répliqua par une véhémente brochure dans laquelle elle affirmait que la femme est un être complet et que le résultat obtenu par la servitude des femmes est l'amoindrissement de l'Humanité, mais Alexandre Dumas fils ne se préoccupa nullement de réfuter les arguments de Maria Deraismes pour lesquels il affecta un mépris de mauvais goût.
En 1876, elle fonda la Société pour l'amélioration du sort de la femme, après une nouvelle série de conférences sur les Droits des Enfants, le Suffrage Universel et l'Art dans la Démocratie.
Elle prenait part aux luttes politiques et, vaillante, se lançait ardemment dans la mêlée ; elle républicanisait le département de Seine-et-Oise où, pour la première fois, un républicain, M. Senart était élu député.
Les dirigeants du 16 mai ayant supprimé le droit de réunion, Maria Deraismes invita ses amis dans sa propriété des Mathurins près de Pontoise et M. de Broglie ne put interdire à une dame d'inviter ses amis à prendre une tasse de thé, prétexte pour des conférences familières où venaient tous les militants du département et où l'on pouvait entendre Hubbard, Deschanel, Hamel, Naquet, etc...
Elle publia un journal : Le Républicain, de Seine-et-Oise, qui répandait les bonnes paroles de l'infatigable propagandiste.
Maria Deraisme se trouva entraînée par les larges idées démocratiques de son temps et peu à peu, à évoluer et rejoindre les plus ardents défenseurs de la libre pensée
En 1881, elle organisa le premier Congrès anticlérical au Grand 0rient de France. Le président, Schoelcher vint peu et ce fut Maria Deraismes qui dirigea ces importants travaux. Des décisions y furent prises concernant la séparation des églises et de l'État (abolition du Concordat, suppression du budget des cultes, liberté des cultes sans privilège aucun, droit commun pour tous, liberté d'association avec une législation spéciale pour les ordres religieux). Les grandes questions d'éducation, de fêtes laïques, de propagande anticléricale, d'organisation de service hospitalier, de l'assistance, furent examinées. Enfin, Maria Deraismes, cherchant à soustraire la femme à l'influence cléricale proposa au Congrès le vœu suivant qui fut adopté : « Le Congrès émet le vœu que les hommes et surtout les libres penseurs, fassent de leurs femmes leurs compagnes dans leurs réunions, cercles, comices, travaillent à les faire reconnaître légalement comme leurs égales.
Ce Congrès se termina par une réunion mémorable de 4000 personnes qui, après avoir applaudi Louis Blanc, saluèrent d'applaudissements une magistrale improvisation de Maria Deraisme sur le rôle social de la femme.
Un groupement politique important voulut porter sa candidature en 1881. Maria Deraismes refusa, elle motiva ainsi son refus : « Certes, depuis quinze ans, j'ai pris en mains la cause des femmes et j'ai fait revivre cette importante question, ensevelie après la Révolution de 1848. J'ai en toute circonstance demandé l'intégrité des droits féminins, aussi bien politiques que civils. Dés lors, le mouvement s'est généralisé, l'idée n'a cessé de marcher ; elle est même parvenue jusqu'aux Chambres. Mais comme, malgré les progrès accomplis dans les esprits et dans les consciences, rien n'est encore changé dans la loi, que le terme français, employé dans les codes et les constitutions n'implique pas toujours celui de française et qu'il l'exclut même en plus d'un cas ; qu'en conséquence, ma candidature ne peut être qu'une candidature de protestation, dont le résultat immanquablement même s'il y a succès, est l'invalidation ; je refuse. Car cette vaine tentative n'amènerait que des retards. Le temps est une matière trop précieuse, et nous n'en disposons que dans une trop faible mesure pour que nous le prodiguions inconsidérément ».
Le 14 janvier 1882, une Loge Maçonnique régulièrement constituée accepta Maria Deraismes en son sein, ouvrant ainsi pour elle une nouvelle période d'activité, mais cette loge fut contrainte de revenir à l'ostracisme masculin. Pendant onze années Maria Deraismes resta en contact avec ses amis de la maçonnerie. Le Dr Georges Martin, ardent féministe, cherchant depuis plus de dix ans à faire admettre la femme dans la Maçonnerie, lassé de voir refuser cette transformation qu'il jugeait indispensable, soumit à Maria Deraismes ses idées de réalisation et s'engagea à l'aider dans la tâche qu'elle acceptait avec enthousiasme d'accomplir, elle forma une loge féminine, on peut considérer que la Grande Loge Symbolique Écossaise de France " Le Droit Humain " , était définitivement constituée.
Maria Deraismes ne devait malheureusement pas voir le couronnement de son oeuvre. Le mal dont elle souffrait depuis longtemps et qui l'avait à maintes reprises condamnée au silence, l'enlevait le 6 février 1894.